How not to love Carol ?
Je viens de rentrer d'une séance de cinéma, donc j'écris "à chaud", ce qui arrive rarement.
Il faut dire que je suis assez perturbée par Carol de Todd Haynes. L'héroïne est incarnée par Cate Blanchett, somptueuse comme à son habitude, mais là, elle touche au sublime par instant. L'histoire est relativement simple : une femme très aisée, mariée, avec un enfant, attire très fortement une jeune vendeuse d'un grand magasin, et réciproquement. Nous sommes dans les années 50 aux Etats-Unis, et être homosexuel(le) à l'époque est loin d'être un choix facile (quand le choix est fait, d'ailleurs...).
Les femmes, dans ce film, doivent s'affirmer, quitte à perdre beaucoup pour gagner peu. Les hommes n'envisagent pas qu'elles puissent vivre sans eux dans ce monde masculin et tellement balisé (une grande maison, une grosse voiture, une femme très belle qui reste dans la dite maison, à s'occuper d'un ou deux enfants dignes des magazines). L'une s'affirme dans ses choix personnels, l'autre dans sa passion de photographe et son refus du mariage convenu, ce qui est extraordinairement courageux en 1953.
Le tableau de l'époque est glaçant, car il sonne étrangement moderne, malgré les quasi soixante-dix ans de progrès sociaux. Les dérapages entendus au moment du mariage pour tous font froid dans le dos, en écho au film : il faut se soigner car on est forcément malade quand on a ces penchants; on ne peut être une bonne mère en étant attirée par les femmes ("I'm a mother, for God's sake ! " lance Carol); etc. Ces femmes se sentaient systématiquement observées, espionnées, qui par la domestique, qui par la chef de rayon, et à juste titre. Tout est dans le contrôle, sauf une fois enfermées dans une chambre d'hôtel, à double tour.
Sinon, au niveau du jeu des actrices, j'ai aimé cette grâce infinie avec laquelle tout est dit sans dire un mot. On assiste à un coup de foudre tout en discrétion, et l'attirance se devine progressivement pour l'une comme pour l'autre femme. Cate Blanchett a ce raffinement inné rien que dans sa façon de marcher ou de parler, Rooney Mara joue parfaitement la découverte et l'affirmation de soi (elle a d'ailleurs eu le prix d'interprétation à Cannes). Et les personnages évoluent parfois malgré eux, ainsi qu'il en est pour nous tous "dans la vraie vie".
Quant aux scènes d'amour, très rares dans le film, elles sont de loin ce que j'ai vu de plus beau entre deux femmes, car on oscille entre passion et tendresse, et l'on sent la libération d'être enfin soi-même. Tout est délicat, sensuel, et en lenteur (il y a d'ailleurs un road movie sur presque la moitié du film, qui ralentit encore le rythme).
Sorti début janvier, le film passe encore dans quelques salles. Faites-vous votre idée sur ce drame américain.