C'est du bon art
Si vous avez encore un peu de temps et que vous êtes sur Paris, je vous recommande vivement l'exposition sur Bonnard à Orsay (elle s'achève le 19 juillet). J'attendais de pouvoir m'en délecter, et je n'ai pas été déçue. Certes, j'aimais déjà ce peintre pour ses magnifiques nus montrant l'intimité de la toilette (dans les tubs, ancêtres de la baignoire), mais une telle rétrospective est rare.
J'ignorais le côté amusant du peintre, celui qui glisse des éléments dans ses toiles pour troubler, faire sourire, inquiéter, frémir... C'est le cas dans l'une de ses oeuvres que j'aime beaucoup, "L'indolente". Il était l'ami d'Alfred Jarry, autre fantaisiste notable. Mais Bonnard, c'est aussi l'influence du Japon, les Nabis, le mystère symboliste, l'usage des premiers appareils photographiques Kodak, les autoportraits sombres, la Normandie sauvage, le sud irradiant... Difficile de classer ce peintre, et de lui coller une seule étiquette.
Cet amoureux des femmes, qui recherchait toujours le même idéal, a peint les plus beaux nus que je connaisse. La salle consacrée à ce thème m'a bouleversée, et en particulier une toile : "Nu dans un intérieur" (1912-1914). J'en aurais pleuré, pour tout dire. Très peu de peintures me font cet effet; elles sont maintenant au nombre de trois : Chirico "Chant d'amour", Van Gogh "Deux tournesols" et l'oeuvre de Bonnard citée.
Il était interdit de la prendre en photo, mais c'est celle utilisée partiellement pour l'affiche de l'exposition. Je la reproduis ici grâce à internet (elle appartient à une collection privée).
J'aime infiniment la sensualité de Bonnard, son travail sur la lumière, la couleur. J'aime son intériorité souvent joyeuse et pourtant mélancolique. Cet homme à binocles, et qui avait l'air si discret, portait en lui la passion et se refusait à toute intellectualisation de son art. Il est celui qui met en scène des sentiments, souvent fugaces, mais fondamentaux, dans des situations relevant du banal.
Autre joli détail : quasiment toutes les toiles de Bonnard contiennent un animal, le plus souvent un chat très étiré, ou un chien. Leur présence se devine, et l'on comprend qu'ils font parti du tableau : pas celui que l'on a sous les yeux, mais le tableau de la vie du peintre. Une grande harmonie se dégage de son travail, comme si l'homme faisait partie intégrante d'un tout, au milieu des êtres, au milieu de la nature, entre désir et gravité. Il finit sa carrière en peignant son Arcadie, qui était le thème majeur de cette exposition.
Alors si vous n'avez pas l'occasion de voir cette rétrospective, vous pourrez malgré tout vous contenter des toiles qui appartiennent au musée d'Orsay et sont exposées de façon permanente. Elles seront rapidement remises à leur place après l'exposition temporaire, je pense.
PS : Vous excuserez les potentiels reflets sur les images, mais il m'était difficile de faire mieux...